12

 

 

Jondalar aimait regarder Jonayla, qu’elle tète sa mère, qu’elle joue avec ses pieds ou qu’elle mette des choses dans sa bouche. Il aimait même la regarder quand elle dormait. Cette fois, elle tentait de résister au sommeil. Elle commençait à lâcher le mamelon d’Ayla, le reprenait pour aspirer quelques goulées encore, le gardait un moment et le lâchait de nouveau. Au bout d’un moment, elle s’assoupit dans les bras de sa mère. Jondalar contemplait, fasciné, la goutte de lait qui s’était formée au bout du téton et finit par tomber.

— Je crois qu’elle dort, maintenant, murmura-t-il.

Ayla avait entouré les fesses de son bébé de laine de mouflon qu’elle avait lavée quelques jours plus tôt puis l’avait emmaillotée de ses vêtements de nuit. Elle se leva et la porta doucement dans un coin de la hutte. Ayla ne se séparait pas toujours de sa fille quand elle s’endormait mais, ce soir-là, elle tenait absolument à avoir la fourrure de couchage pour elle et Jondalar.

L’homme qui l’attendait la suivit des yeux lorsqu’elle se glissa à côté de lui. Elle le regarda elle aussi, ce qui lui demandait encore un effort de volonté. Il lui avait appris que dans son peuple – qui était aussi le sien – on jugeait impoli, voire sournois, de ne pas regarder en face la personne à qui on s’adressait.

En l’observant, elle se demanda comment les autres voyaient cet homme qu’elle aimait, comment ils appréciaient son aspect physique. Qu’est-ce qui les attirait avant même qu’il ait prononcé un mot ? Il était grand, avec des cheveux blonds plus clairs que les siens, un corps robuste et proportionné à sa taille. Ses yeux étaient du même bleu extraordinaire que les glaciers. Il était intelligent, habile à fabriquer des choses, comme les outils de silex qu’il taillait, mais surtout il avait un charme, une aura qui fascinait la plupart des gens, en particulier les femmes. Zelandoni aurait dit un jour que la Mère elle-même ne pouvait rien lui refuser.

Il n’avait pas vraiment conscience d’exercer cet attrait, mais il trouvait comme allant de soi qu’on lui fasse tout le temps bon accueil. Même son long voyage n’avait pas ébranlé sa certitude que partout où il allait on l’acceptait, on l’approuvait, on l’aimait. Il n’avait jamais cherché à se l’expliquer, il n’avait jamais eu à apprendre comment se faire pardonner un acte inconvenant ou inadmissible.

Lorsqu’il montrait du regret – généralement avec sincérité –, les gens le croyaient volontiers. Quand, jeune homme, il avait frappé Madroman, si violemment qu’il lui avait cassé les incisives, il n’avait pas eu à trouver les mots pour s’excuser. Sa mère s’était acquittée d’une lourde indemnité et l’avait envoyé vivre quelques années avec Dalanar, l’homme de son foyer, mais Jondalar n’avait rien dû faire lui-même pour réparer. Il n’avait pas eu à demander pardon ni à déclarer qu’il regrettait d’avoir commis une mauvaise action en blessant l’autre garçon.

Si la plupart des Zelandonii le trouvaient beau et viril, Ayla le voyait d’un œil un peu différent. Les hommes du peuple qui l’avait élevée, les hommes du Clan, avaient des traits plus rudes, avec de grandes orbites rondes, des nez volumineux et des arcades sourcilières saillantes. Le jour où elle l’avait vu pour la première fois, inconscient, presque mort après avoir été assailli par son lion, cet homme avait éveillé en elle le souvenir d’êtres auxquels elle n’avait pas pensé depuis des années, d’êtres semblables à elle. Aux yeux d’Ayla, Jondalar n’avait pas des traits aussi rugueux que les hommes du clan où elle avait grandi et ils étaient si parfaitement dessinés qu’il émanait d’eux une incroyable joliesse. Il lui avait expliqué qu’on n’appliquait généralement pas ce terme aux hommes, mais c’était celui qui venait toujours à l’esprit d’Ayla, même si elle ne le prononçait pas souvent.

Il la regarda assise près de lui et se pencha pour l’embrasser. Il sentit la douceur de ses lèvres, glissa lentement sa langue entre elles et Ayla les écarta pour l’accueillir.

— Tu es si belle, dit-il. J’ai beaucoup de chance.

— Moi aussi j’ai de la chance, répondit-elle.

Le sein qu’elle venait de donner au bébé était retombé à l’intérieur de sa tunique mais elle n’en avait pas renoué les lanières du haut. Jondalar le ressortit, fit courir sa langue sur le mamelon, l’aspira dans sa bouche.

— Je sens autre chose en moi lorsque c’est toi qui le fais, dit-elle. J’aime quand Jonayla me tète mais ce n’est pas la même sensation. Cela me donne envie que tu me touches à d’autres endroits.

— Tu me donnes envie de te toucher à d’autres endroits.

Il dénoua toutes les lanières et ouvrit grand la tunique, dénudant les deux seins. Une goutte de lait perla à l’un des mamelons, il la lécha.

— J’ai pris goût à ton lait mais je ne veux pas priver Jonayla de ce qui lui revient.

— Lorsqu’elle aura de nouveau faim, mes seins seront redevenus pleins.

Lâchant le téton, Jondalar fit remonter sa bouche le long du cou et embrassa à nouveau Ayla, avec plus de passion cette fois, et il fut pris d’un désir qu’il n’était pas sûr de pouvoir contrôler. Il s’arrêta, enfouit son visage au creux de l’épaule d’Ayla et tenta de se maîtriser. Elle tira sur la tunique de son compagnon pour la faire passer par-dessus sa tête.

— Cela faisait longtemps, murmura-t-il d’une voix rauque. Tu n’imagines pas à quel point je suis prêt.

— Vraiment ? dit-elle avec un sourire aguicheur.

— Je vais te montrer…

Agenouillé, il défit sa tunique, se leva et dénoua le cordon enroulé autour de sa taille, ôta son pantalon à jambes courtes. Il portait dessous une sorte de poche protectrice attachée aux hanches par de fines lanières et couvrant ses parties viriles. Généralement faites en peau de chamois ou de lapin, ces poches n’étaient portées qu’en été. Si le temps devenait très chaud ou si l’homme se livrait à un labeur particulièrement dur, il pouvait se défaire de tous ses autres vêtements et se sentir quand même protégé. La poche de Jondalar était gonflée par le membre qu’elle contenait. Il fit glisser les lanières pour libérer sa virilité entravée.

Ayla leva les yeux vers lui et un sourire monta lentement à ses lèvres. Jondalar avait connu un temps où la taille de son sexe faisait peur aux femmes, mais c’était avant qu’elles découvrent avec quelle douceur il s’en servait. La première fois, avec Ayla, il avait craint qu’elle ne soit effrayée mais ils avaient rapidement compris qu’ils étaient faits l’un pour l’autre. Parfois, il n’arrivait pas vraiment à croire à la chance qu’il avait. Chaque fois qu’il avait envie d’elle, elle était prête pour lui. Jamais elle ne se montrait timide ou indifférente. C’était comme si elle le désirait toujours autant qu’il la désirait.

Le feu qu’ils avaient allumé n’était pas encore éteint mais il ne donnait plus beaucoup de lumière, ni de chaleur. C’était sans importance. Jondalar s’agenouilla de nouveau à côté de sa compagne et entreprit de la déshabiller. Il ôta d’abord la longue tunique, prit le temps d’embrasser de nouveau les mamelons avant de dénouer les lanières qui entouraient la taille et retenaient les jambières. Il les fit descendre, promena les lèvres sur l’estomac d’Ayla, glissa jusqu’au nombril, jusqu’à la toison pubienne. Lorsque le haut de sa fente apparut, il y enfonça la langue, savoura le goût familier, chercha le petit bouton. Ayla poussa un cri de plaisir quand il le trouva.

Lorsqu’il eut défait complètement les jambières, il se pencha pour embrasser de nouveau sa bouche et ses seins, boire encore à sa source. Il écarta ses cuisses, entrouvrit les délicats pétales, trouva le bourgeon érigé, l’aspira, le titilla de la langue tout en glissant ses doigts en elle pour trouver d’autres endroits où s’affolaient les sens d’Ayla.

Elle cria de nouveau lorsque des vagues de feu la parcoururent. Presque trop vite, Jondalar sentit la liqueur d’Ayla sur ses lèvres et son envie de laisser libre cours à son désir devint si forte qu’il faillit ne plus pouvoir se dominer. Il se redressa, trouva la fente d’Ayla de son membre durci et la pénétra, heureux de ne pas avoir à craindre de lui faire mal, certain qu’elle pouvait le prendre totalement en elle.

Elle gémit à chaque fois qu’il ressortait d’elle, entrait de nouveau, et soudain il parvint au faîte. Avec un grognement, il se répandit en elle. Elle arqua le dos, poussa son corps contre le sien. Ils demeurèrent un moment ainsi, secoués de spasmes, puis retombèrent, pantelants. Il demeura sur elle, comme elle aimait, jusqu’à ce que, craignant de devenir trop lourd, il roule sur le côté.

— Je suis désolé que ce soit venu si vite.

— Moi pas, répondit-elle. J’étais aussi prête que toi, peut-être plus.

Au bout d’un moment, elle ajouta :

— J’ai envie de me baigner dans la rivière.

— Toi et tes bains froids, grommela-t-il. L’eau est gelée, ici. Tu te souviens, chez les Losadunaï ? L’eau chaude qui jaillissait du sol et les merveilleux bains qu’on prenait ?

— Merveilleux, convint-elle, mais après un bain dans l’eau froide on se sent frais, on a la peau qui picote. Moi, ça ne me dérange pas de me baigner dans l’eau froide.

— Et je m’y suis habitué. Allons-y. Remettons du bois dans le feu pour qu’il fasse chaud quand nous reviendrons.

À l’époque où les glaciers recouvraient la Terre, un peu plus au nord, les soirées pouvaient être fraîches, même en plein été, aux latitudes comprises entre le pôle et l’équateur. Ils emportèrent les peaux de chamois que leurs amis sharamudoï leur avaient offertes, s’en enveloppèrent et coururent jusqu’à la rivière, descendirent plus bas que le point d’eau désigné mais s’arrêtèrent avant l’endroit où on nettoyait les paniers de nuit.

— C’est glacé ! protesta Jondalar quand ils entrèrent dans l’eau.

Ayla s’accroupit pour que l’eau recouvre ses épaules et atteigne son cou. Elle s’aspergea le visage, se frotta tout le corps de ses mains sous la surface. Puis elle ressortit prestement de la rivière, enroula sa peau de chamois autour d’elle et courut vers leur hutte, suivie de près par Jondalar. Ils s’assirent devant le feu et se séchèrent rapidement, accrochèrent les peaux de chamois mouillées à une cheville, se glissèrent dans leur fourrure de couchage et se blottirent l’un contre l’autre. Lorsqu’ils se furent réchauffés, Ayla murmura à l’oreille de son compagnon :

— Si on le fait lentement, tu crois que tu pourras être de nouveau prêt ?

— Je crois que oui, si tu peux aussi.

Il l’embrassa, lui ouvrit la bouche de sa langue. Cette fois, il n’avait pas envie de précipiter l’issue. Il voulait s’attarder sur le corps d’Ayla, l’explorer, dénicher les endroits spéciaux qui lui donnaient du plaisir et la laisser trouver les siens. Il fit courir sa main le long de son bras, sentit la peau fraîche tiédir puis caressa un sein dont le mamelon durcit au creux de sa paume. Il l’agaça du pouce et de l’index, enfouit la tête sous la couverture pour le prendre dans sa bouche.

Un bruit au-dehors les fit se redresser et tendre l’oreille. Des voix se rapprochaient. Quelqu’un écarta le rabat servant de porte et plusieurs personnes entrèrent. Ayla et Jondalar écoutèrent en silence. Ils pourraient poursuivre leurs explorations si les nouveaux venus se couchaient immédiatement. Ni lui ni elle ne se sentaient tout à fait à l’aise pour partager les Plaisirs quand d’autres, parfaitement éveillés, bavardaient à proximité, même si certains semblaient s’en accommoder. Jondalar savait que ce n’était pas rare et il s’efforça de se rappeler ce qu’il faisait lorsqu’il était plus jeune.

Ayla et lui avaient pris l’habitude d’être seuls pendant leur long voyage mais il avait toujours aimé son intimité, même quand Zolena lui avait appris les Plaisirs. Surtout lorsque cela était allé au-delà de l’apprentissage d’un jeune homme auprès d’une femme-donii, qu’ils étaient véritablement devenus amants et qu’il avait voulu en faire sa compagne. Il reconnut alors la voix de l’ancienne Zolena, en plus de celles de sa mère et de Willamar. La Première les avait accompagnés au camp de la Neuvième Caverne.

— Je fais chauffer de l’eau pour préparer une tisane, dit Marthona. Je vais prendre du feu au foyer de Jondalar.

— Elle sait que nous ne dormons pas, chuchota Jondalar à Ayla. Nous allons devoir nous lever.

— Je crois que tu as raison.

— Je t’apporte du feu, mère, dit-il en repoussant la couverture et en tendant le bras vers sa poche pénienne.

— Oh, nous vous avons réveillés ?

— Non, non, pas du tout.

Il se leva, prit un long morceau de bois, le tint au-dessus des flammes jusqu’à ce qu’il s’embrase et l’apporta au foyer principal de la hutte.

— Prenez donc une infusion avec nous, suggéra sa mère.

— Pourquoi pas ? répondit-il, certain qu’ils savaient tous qu’ils avaient interrompu le jeune couple.

— Je voulais vous parler, de toute façon, dit Zelandoni.

— Je retourne juste passer un vêtement plus chaud.

Ayla était déjà rhabillée quand Jondalar revint à leur petit espace à dormir. Il enfila rapidement sa tunique et ils allèrent tous deux au foyer principal de la hutte avec leurs bols personnels.

— Je vois que tu m’as évité la corvée de remplir l’outre, dit Willamar à Jondalar.

— Ayla avait remarqué qu’elle était vide.

— J’ai vu Loup et les chevaux derrière l’abri, reprit le compagnon de Marthona.

— Il n’y avait personne au camp aujourd’hui et un léopard des neiges en a profité pour tenter de s’en prendre à Grise, dit Jondalar. Whinney et Rapide l’ont tué, mais ils ont détruit l’enclos.

— Loup les a découverts derrière le pré, près d’un ruisseau. Ils étaient terrifiés.

— Et pas question de les remettre dans l’enclos. Voilà pourquoi nous les avons amenés ici.

— Loup les garde en ce moment, mais nous devrons leur trouver un autre endroit. Demain, je m’occuperai de la carcasse de ce léopard et je donnerai le bois de la clôture à qui en voudra pour faire du feu, promit Ayla.

— Il y a de bons poteaux, fit observer Willamar. Ils peuvent servir à autre chose.

— Tu peux les prendre, je ne veux plus les revoir, dit Ayla en frissonnant.

Jondalar songea que le léopard des neiges avait effrayé Ayla plus encore que les chevaux, ce qui expliquait sa réaction.

— Vous êtes sûrs que c’était un léopard des neiges ? demanda le Maître du Troc. Ils ne descendent généralement pas jusqu’ici, et jamais en été.

— Ayla a reconnu sa longue queue duveteuse et sa fourrure d’un blanc tacheté, expliqua Jondalar.

— C’est convaincant, admit Willamar. Mais les léopards des neiges vivent sur les hauteurs, ils chassent le bouquetin, le chamois et le mouflon, pas les chevaux.

— D’après Ayla, c’était un jeune, probablement un mâle.

— Les prédateurs des montagnes descendent peut-être tôt cette année, avança Marthona. Cela pourrait annoncer un été court.

— Il faut en parler à Joharran, estima Willamar. La prudence conseille d’organiser rapidement de grandes chasses pour faire des réserves de viande. Un été court pourrait être suivi d’un long hiver rigoureux.

— Et nous ferions bien de cueillir tous les fruits mûrs que nous pourrons avant la venue du froid, suggéra Marthona. Avant même qu’ils soient mûrs, au besoin. Je me rappelle un été lointain, nous avions cueilli peu de fruits et nous avons dû ensuite déterrer des racines d’un sol presque gelé.

— Je m’en souviens aussi, dit Willamar. Je crois que c’était avant que Joconan devienne Homme Qui Commande.

— Oui. Nous ne nous étions pas encore unis mais nous étions attirés l’un par l’autre. Si ma mémoire est bonne, nous avons connu plusieurs mauvaises années de suite, à l’époque.

La Première n’en gardait aucun souvenir, elle n’était probablement alors qu’une enfant.

— Qu’avez-vous fait ? demanda-t-elle.

— D’abord, personne n’a voulu croire que l’été pouvait finir aussi vite, répondit Willamar. Et puis tout le monde s’est hâté de faire des provisions pour l’hiver. Sage décision car la saison froide fut longue.

— Il faut prévenir les Cavernes, dit la Première.

— Comment être sûrs que l’été sera court ? objecta Jondalar. Après tout, ce n’est qu’un seul léopard des neiges.

Ayla partageait son avis mais elle garda le silence.

— Pas besoin d’être sûrs, argua Marthona. Si nous séchons plus de viande et de baies, si nous commençons plus tôt à faire des réserves de racines et de noix, ce ne sera pas perdu même si le froid tarde à venir. Nous les utiliserons plus tard. Mais si nos réserves ne sont pas suffisantes, nous connaîtrons la faim, ou pire.

— J’ai dit que je voulais te parler, Ayla, reprit la Première. J’ai réfléchi à ton Périple de Doniate. Je me demandais si nous devions partir tôt ou attendre la fin de l’été, peut-être même après la deuxième Matrimoniale. Je pense maintenant qu’il vaut mieux nous mettre en route dès que possible. Nous en profiterons pour avertir tout le monde de la possibilité d’un été court. Je suis sûre que la Zelandoni de la Quatorzième sera heureuse de conduire la Matrimoniale de fin de saison. Je ne crois pas que les couples seront nombreux, de toute façon. Il n’y aura que ceux qui se seront connus cet été et auront pris une décision tardive. Je connais deux couples qui ne savent pas encore s’ils veulent s’unir et un dont les Cavernes peinent à se mettre d’accord. Tu penses que vous pourriez être prêts à partir dans quelques jours ?

— J’en suis sûre, répondit Ayla. Et cela m’éviterait d’avoir à trouver un autre endroit pour les chevaux.

 

 

— Regardez cette foule, dit Danella en s’approchant des groupes rassemblés devant la grande hutte de la Zelandonia.

Elle marchait à côté de son compagnon Stevadal, le chef de Vue du Soleil, et de Joharran et Proleva. Les gens attendaient de voir qui allait sortir de l’abri mais ils avaient déjà de quoi satisfaire leur curiosité : les perches et le siège spécialement fabriqués pour la Première étaient attelés à la jument louvette de la compagne étrangère de Jondalar, et Lanidar, le jeune chasseur de la Dix-Neuvième Caverne au bras difforme, tenait une corde nouée à un licou, une lanière qu’Ayla avait passée autour de la tête de l’animal. Il avait aussi à la main une autre corde retenant le jeune étalon brun auquel on avait également attaché des perches chargées de ballots. La pouliche grise se pressait contre lui, comme pour rechercher sa protection. Le loup, assis à côté d’eux, fixait lui aussi l’entrée de la hutte.

— Est-ce que nos amis suscitent toujours autant d’intérêt, Joharran ? demanda Stevadal.

— Oui, chaque fois qu’ils chargent les chevaux.

— C’est une chose de voir ces bêtes à la lisière du camp principal – on finit par s’habituer –, mais quand Ayla et Jondalar leur attachent ces perches, quand ils leur demandent de tirer et qu’elles le font, c’est vraiment sidérant, expliqua Proleva.

La foule s’agita lorsque plusieurs personnes sortirent de la hutte. Les deux couples pressèrent le pas afin d’avoir le temps de faire leurs adieux. Lorsque Jondalar et Ayla apparurent, Loup se leva mais resta au même endroit. Suivirent Marthona, Willamar et Folara, plusieurs Zelandonia et enfin la Première. Joharran préparait déjà une grande chasse et Stevadal, quoique réticent à accepter l’éventualité d’un été court, ne demandait pas mieux que d’y prendre part.

— Reviendras-tu ici, Ayla ? dit Danella après avoir pressé sa joue contre celle de la jeune femme. J’ai à peine eu le temps de faire ta connaissance.

— Je l’ignore. Cela dépend de la Première.

Danella effleura également la joue de Jonayla de la sienne. Suspendue à la hanche de sa mère dans la couverture à porter, l’enfant était éveillée et semblait sentir l’excitation ambiante.

— J’aurais aimé la connaître mieux, elle aussi. Elle est si mignonne.

Jondalar et Ayla s’approchèrent des chevaux et prirent les longes.

— Merci de ton aide pour les bêtes, dit-elle à Lanidar. Elles te font confiance, elles se sentent bien avec toi.

— J’y ai pris plaisir. J’aime les chevaux et vous avez tant fait pour moi. Si vous ne m’aviez pas demandé de les garder l’année dernière, si vous ne m’aviez pas appris à me servir d’un lance-sagaie, je ne serais pas devenu chasseur. Je cueillerais encore des baies avec ma mère. Maintenant, j’ai des amis et un statut à offrir à Lanoga, quand elle aura l’âge.

— Tu songes toujours à t’unir à elle ? dit Ayla.

— Oui, nous faisons des projets.

Il se tut, parut hésiter à poursuivre, finit par se lancer :

— Je vous remercie pour l’abri d’été que vous avez construit pour elle et sa famille. Cela change tout. J’y ai dormi la plupart du temps pour l’aider à s’occuper des petits. Sa mère n’est rentrée que deux… non, trois fois. À peine capable de marcher. Laramar y a passé une nuit, il ne s’est même pas rendu compte que j’étais là. Au matin, il s’est levé et il est reparti tout de suite.

— Et Bologan ? Est-ce qu’il reste pour aider Lanoga ?

— Quelquefois. Il apprend à faire du barma et, les jours où il en fabrique, il dort avec Laramar. Il s’exerce aussi au lance-sagaie, je lui ai montré. L’été dernier, la chasse ne l’intéressait pas du tout mais cette année il a vu comme j’ai progressé et il veut montrer qu’il en est aussi capable.

— J’en suis heureuse. Si nous ne repassons pas ici après le Périple, j’espère te revoir l’année prochaine, dit-elle en le serrant dans ses bras.

Elle remarqua alors que les visages se tournaient vers Whinney : la femme massive qui était la Zelandoni de la Neuvième Caverne et la Première parmi Ceux Qui Servaient la Mère se dirigeait vers le travois. Bien qu’Ayla la soupçonnât d’être nerveuse, elle marchait d’un air confiant. Jondalar, qui se tenait, souriant, près de la jument, tendit la main à la doniate pour l’aider. Ayla demeura près de Whinney pour la calmer lorsqu’elle sentirait le fardeau supplémentaire. Zelandoni monta sur le marchepied, qui s’abaissa sous son poids mais pas plus qu’il n’était normal. Appuyée au bras de Jondalar pour garder équilibre et assurance, elle se retourna et s’assit. Quelqu’un avait fabriqué des coussins confortables pour le siège et quand elle fut installée elle se sentit mieux. Elle remarqua les accoudoirs, auxquels elle pourrait se tenir après le départ, ce qui contribua aussi à atténuer son appréhension.

Une fois la Première assise, Jondalar retourna auprès d’Ayla et, joignant les mains, lui fit la courte échelle pour l’aider à monter sur Whinney : lorsqu’elle portait Jonayla dans sa couverture, il lui était difficile de sauter sur la jument comme elle le faisait d’habitude. Il attacha la longe de Grise à l’une des perches puis s’approcha de Rapide et grimpa dessus.

Ayla se mit en route, ouvrant la marche. Malgré les perches et le poids de la Zelandoni, Whinney n’entendait pas laisser son rejeton passer devant elle. Elle était la jument dominante, celle qui, dans un troupeau, galopait toujours en tête.

Rapide et Jondalar suivirent. Il était satisfait de fermer la marche, cela lui permettait de garder un œil sur Ayla et le bébé – sans parler de Zelandoni – pour s’assurer que tout allait bien. Comme la Première était tournée vers lui, il pouvait lui sourire et même, s’il se rapprochait, avoir une conversation avec elle ou tout au moins lui adresser quelques mots.

La doniate agita la main avec sérénité en direction des personnes rassemblées au camp principal et les regarda jusqu’à ce qu’elle soit trop loin pour les voir distinctement. Elle aussi était contente d’avoir Jondalar derrière elle. Elle était encore un peu effrayée de se trouver sur ce siège. Elle fut un peu secouée, en particulier lorsque le terrain devint rocailleux mais somme toute, ce n’était pas une façon de voyager désagréable, estima-t-elle.

Ayla reprit la direction par laquelle ils étaient venus jusqu’à un cours d’eau prenant sa source au nord. Arrivée à un endroit dont ils avaient discuté la veille, elle s’arrêta. Jondalar descendit du jeune étalon et courut vers sa compagne pour l’aider mais elle avait déjà passé la jambe par-dessus sa jument et se laissait glisser.

Leurs chevaux étaient des bêtes trapues, extrêmement robustes, avec un cou puissant surmonté d’une courte crinière hérissée. Ils avaient de solides sabots leur permettant d’avancer sur tous les terrains – pierres tranchantes, sol dur, sable mou – sans avoir besoin de protection. Ayla et Jondalar s’approchèrent de Zelandoni et lui tendirent tous deux la main pour l’aider à se lever.

— Ce n’est pas si difficile, finalement, dit-elle. On est un peu ballotté, quelquefois, mais les coussins amortissent les cahots et on peut se tenir aux accoudoirs. Je ne suis quand même pas mécontente d’être debout et de faire quelques pas.

Elle regarda autour d’elle et hocha la tête.

— À partir de maintenant, nous prenons au nord. Ce n’est pas très loin mais la pente est raide.

Loup, parti devant pour explorer les environs, fit demi-tour lorsqu’il vit qu’ils s’étaient arrêtés. Il les rejoignit au moment où ils remontaient sur les chevaux après avoir aidé Zelandoni à se rasseoir sur son siège. Ils traversèrent le cours d’eau et en longèrent la rive gauche. Ayla remarqua des entailles sur les arbres et en conclut que quelqu’un avait marqué la piste. En examinant l’une des encoches indiquant le chemin à suivre, elle remarqua qu’elle avait été taillée sur une autre marque plus ancienne et plus sombre, moins facile à repérer.

Elle avançait au pas pour ménager les bêtes. La Première bavardait avec Jondalar, qui était descendu de Rapide et allait à pied en menant l’étalon brun par le licou. La montée était rude, le paysage changea, les arbres feuillus faisant place à des broussailles ponctuées de hauts conifères. Loup s’enfonçait dans les fourrés puis réapparaissait, venant d’une autre direction.

La piste finit par les mener à l’entrée d’une large grotte située dans les collines de la ligne de partage des eaux entre la Rivière et la Rivière de l’Ouest. L’après-midi était bien avancée quand ils y parvinrent.

— Ce fut beaucoup plus facile qu’en marchant, déclara Zelandoni en descendant de son siège sans même attendre l’aide de Jondalar.

Il s’approcha de la grotte, regarda à l’intérieur.

— Quand veux-tu y entrer ? demanda-t-il.

— Pas avant demain, répondit Zelandoni. Elle est profonde, il nous faudra la journée pour aller au bout et revenir.

— Tu veux aller au bout ?

— Oh oui. Tout au bout.

— Alors, il vaut mieux installer notre camp ici puisque nous y passerons au moins deux nuits, conclut-il.

— Il est encore tôt, souligna Ayla. Une fois que nous serons installés, j’irai voir ce qui pousse par ici. Je trouverai peut-être quelque chose de bon pour le repas du soir.

— Je n’en doute pas.

— Tu veux m’accompagner ? Nous pouvons tous y aller.

— Non. En approchant, j’ai repéré des affleurements de silex et je me demande s’il y en a aussi dans la grotte. Je vais allumer une torche pour jeter un coup d’œil.

— Et toi, Zelandoni ? demanda Ayla. Tu viens ?

— Non plus. Je veux réfléchir un peu à cette grotte, estimer le nombre de torches et de lampes qu’il nous faudra, ainsi que tout ce que nous devrons emporter d’autre.

Ayla fit un pas à l’intérieur, scruta l’obscurité, leva les yeux vers la voûte.

— Elle a l’air immense.

Jondalar la rejoignit.

— Regarde, il y a un morceau de silex qui sort de la paroi, près de l’entrée. Je suis sûr que nous en trouverons d’autres plus loin, dit-il d’une voix excitée. Mais nous ne pourrons pas en rapporter beaucoup, ce serait trop lourd.

— La grotte est aussi haute sur toute sa longueur ? demanda Ayla à la Première.

— Oui, à peu près, sauf vers la fin. C’est plus qu’une grotte. C’est une immense caverne, avec de nombreuses salles et des galeries. Il y a même des niveaux inférieurs mais nous ne les explorerons pas cette fois. Des ours y viennent l’hiver, vous verrez les endroits où ils se vautrent et les traces de leurs griffes sur les parois.

— Est-ce assez haut pour que les chevaux puissent y entrer ? Avec des perches, nous pourrions peut-être porter dehors les silex de Jondalar…

— Je crois que oui.

— Il faudra laisser des marques à l’aller pour être sûrs de retrouver notre chemin au retour, conseilla Jondalar.

— Loup nous aiderait à sortir si nous nous égarions, assura Ayla.

— Il nous accompagnera ? s’enquit la Première.

— Si je le lui demande.

L’endroit avait manifestement déjà été visité : devant l’entrée, le sol avait été nivelé çà et là et on y avait fait du feu, comme le montraient des cercles noircis entourés de pierres. Ils en choisirent un, ajoutèrent des pierres prises à un autre pour caler des branches fourchues qui serviraient de support à la broche sur laquelle ils enfileraient des morceaux de viande. Puis Jondalar et Ayla détachèrent les chevaux et les conduisirent à un carré d’herbe proche.

Ils entreprirent ensuite d’installer une grande tente de voyage constituée de deux tentes ordinaires montées ensemble. Ils l’avaient essayée avant le départ pour s’assurer qu’elle serait assez spacieuse pour eux trois. Ils avaient emporté de la nourriture séchée ainsi que les restes de leur repas matinal et de la viande fraîche provenant d’un cerf abattu par Solaban et Rushemar. Avec les perches, Jondalar et Ayla fabriquèrent un haut trépied auquel ils suspendirent la nourriture enveloppée dans des peaux brutes pour la mettre hors de portée des animaux.

Ils firent ensuite provision de combustible pour le feu, en grande partie du bois mort d’arbres abattus et des broussailles mais aussi des brindilles et des branches desséchées de conifères, et des crottes séchées d’animaux se nourrissant d’herbe. Ayla alluma un feu et le couvrit afin d’avoir du charbon de bois pour plus tard. Ils firent un repas de restes et même Jonayla suçota l’extrémité d’un os après avoir tété. Ils s’attelèrent ensuite à leurs tâches respectives. Zelandoni chercha dans les ballots transportés sur le travois de Rapide les lampes et les torches, les sacs de graisse pour les lampes, le lichen, les lanières de champignon séché et autres matériaux à mèche. Jondalar prit son sac d’outils de tailleur de silex, tint une torche neuve au-dessus des flammes du feu et entra dans la grotte.

Ayla prit son sac mamutoï qui se portait à l’épaule et était plus souple que les sacs à dos zelandonii. Elle l’accrocha côté droit avec le carquois contenant son propulseur et ses sagaies. Elle attacha Jonayla dans son dos avec la couverture mais elle pouvait facilement la faire glisser sur sa hanche gauche. Devant, également sur la gauche, elle passa son bâton à fouir sous la lanière en cuir qui lui ceignait la taille et accrocha l’étui de son couteau à droite. Sa fronde lui entourait la tête et elle portait les pierres lui servant de projectiles dans un des sacs qui pendaient à sa ceinture. Un autre sac contenait un bol et une assiette, de quoi allumer un feu, un petit percuteur en pierre, un nécessaire de couture avec des fils de tailles diverses, minces tendons et cordelettes pouvant passer dans les chas de grosses aiguilles en ivoire. Il y avait aussi un rouleau de corde plus épaisse et diverses autres choses.

Enfin, elle portait son sac à remèdes sur la poitrine, attaché à une lanière. Il était en peau de loutre et elle s’en séparait rarement. Zelandoni n’en avait jamais vu de semblable et avait tout de suite compris que cet objet possédait un pouvoir spirituel. C’était celui qu’Iza, sa mère de Clan, avait fabriqué pour elle avec une peau de loutre entière. Au lieu d’ouvrir le ventre de l’animal comme on le faisait d’habitude, Iza avait incisé le cou, mais pas complètement, de façon que la tête, vidée du cerveau, reste attachée au dos par la peau. Les entrailles, la chair et les os, y compris la colonne vertébrale, avaient été délicatement sortis par l’ouverture, les pieds et la queue restant en place. Deux lacets teints en rouge faufilés autour du cou permettaient de fermer le sac, et la tête, séchée et aplatie, servait de rabat.

Ayla vérifia son carquois, compta quatre sagaies, puis prit son panier de cueillette, fit signe à Loup de l’accompagner et s’engagea sur la piste par laquelle ils étaient venus. En approchant de la grotte, elle avait repéré la plupart des plantes poussant le long du chemin et avait évalué leur utilité. C’était une habitude qu’elle avait prise dans son enfance et qui était devenue un réflexe. Elle était essentielle pour des êtres qui se nourrissaient de la terre, dont la survie dépendait de ce qu’ils pouvaient chasser, cueillir ou trouver lors de leurs expéditions quotidiennes. Ayla relevait toujours les qualités médicinales aussi bien que nutritives de ce qu’elle voyait. Iza, guérisseuse du Clan, s’était attachée à transmettre son savoir à sa fille adoptive en même temps qu’à sa propre fille. Mais Uba était née avec des souvenirs hérités de sa mère et il suffisait qu’Iza lui montre quelque chose une ou deux fois pour qu’elle le comprenne et s’en souvienne.

Comme Ayla n’avait pas les souvenirs du Clan, Iza avait eu beaucoup plus de mal à la former. La fille des Autres avait dû apprendre à force de répétitions. Mais elle avait ensuite étonné sa mère adoptive parce qu’une fois qu’elle savait elle avait une pensée différente sur les médecines qu’on lui avait enseignées. Par exemple, si une plante venait à manquer, elle ne tardait pas à en trouver une autre pour la remplacer ou à imaginer une combinaison de remèdes qui aurait un effet similaire. Elle excellait aussi à formuler un diagnostic, à déterminer ce qui n’allait pas quand un malade se présentait devant elle. Sans pouvoir l’expliquer, Iza avait le sentiment d’une différence entre les façons de penser du Clan et des Autres.

De nombreux membres du clan de Brun croyaient que la fille des Autres qui vivait en leur sein n’était pas très intelligente parce qu’elle n’avait pas une aussi bonne mémoire qu’eux. Iza s’était rendu compte qu’Ayla n’était pas moins intelligente mais qu’elle pensait différemment. Ayla elle-même en était venue à le comprendre. Lorsque des Zelandonii déclaraient que les Têtes Plates n’étaient pas très malins, elle s’efforçait d’expliquer qu’ils n’étaient pas moins intelligents mais d’une intelligence différente.

Elle remonta la piste jusqu’à un endroit dont elle se souvenait, où le sentier à travers les bois qu’ils avaient suivi s’élevait doucement et s’ouvrait sur une étendue d’herbe et de broussailles. Elle l’avait remarquée au passage et cette fois encore, en s’en approchant, elle détecta une délicieuse odeur de fraises mûres. Elle dénoua la couverture à porter et l’étendit par terre, posa Jonayla au milieu. Elle cueillit ensuite un fruit, l’écrasa un peu pour en exprimer le jus sucré et le glissa dans la bouche de son bébé. L’expression de surprise et de curiosité de l’enfant la fit sourire. Elle mangea quelques fraises, en donna une autre à sa fille puis chercha autour d’elle ce qu’elle pouvait rapporter au camp.

Elle repéra un bosquet de bouleaux proche et fit signe à Loup de garder Jonayla pendant qu’elle allait les examiner. Parvenue aux arbres, elle constata avec satisfaction que leur mince écorce commençait à se détacher par endroits. Elle en préleva plusieurs larges bandes et les emporta. De l’étui attaché à sa ceinture, elle tira un couteau neuf que Jondalar lui avait récemment offert. Il était fait d’une lame de silex qu’il avait taillée et fichée dans un superbe manche en vieil ivoire jaunissant sculpté par Solaban et orné de gravures de chevaux par Marsheval. Elle découpa l’écorce de bouleau en morceaux symétriques et les entailla pour pouvoir les plier plus facilement et en faire deux récipients munis de couvercles. Les fraises étaient si petites qu’il lui fallut longtemps pour en cueillir suffisamment pour trois personnes, mais elles étaient si délectables que cela en valait la peine. Du sac dans lequel elle portait sa coupe et son bol personnels, elle tira un morceau de corde, attacha les récipients ensemble et les mit dans son panier à cueillette.

Jonayla s’était endormie et Ayla rabattit sur elle un coin de la couverture en peau de daim qui commençait à se déchirer au bord. Loup était allongé près de l’enfant, les yeux mi-clos. Lorsque Ayla le regarda, il battit le sol de sa queue mais resta à côté du dernier membre de sa meute, qu’il adorait. Ayla se redressa, prit le panier et traversa l’étendue d’herbe en direction du bois qui la bordait.

La première chose qu’elle découvrit dans une haie recouvrant un talus, ce furent les verticilles étoilés des étroites feuilles de gratterons qui poussaient en abondance sur d’autres plantes grâce aux minuscules poils recourbés qui les recouvraient. Elle en déracina plusieurs en tirant sur leurs longues tiges et les roula ensemble. On pouvait s’en servir ainsi comme passoire, ce qui les rendait déjà utiles, mais ils avaient d’autres qualités, à la fois alimentaires et médicinales. Les jeunes feuilles composaient une agréable salade de printemps et les graines grillées fournissaient un breuvage foncé. En écrasant la plante et en la mélangeant à de la graisse, on obtenait un onguent utile pour les femmes aux seins gonflés de lait.

Attirée par un endroit d’herbe sèche exposé au soleil, Ayla flaira une fragrance aromatique et chercha la plante qui devait y pousser : la gratiole. C’était une des premières plantes qu’Iza lui avait fait découvrir et elle se rappelait fort bien en quelles circonstances. Celle-ci mesurait un pied de haut, avec d’étroites feuilles persistantes vert foncé regroupées le long de tiges ramifiées. Des fleurs d’un bleu intense entourant la tige parmi les feuilles du haut venaient d’apparaître et quelques abeilles bourdonnaient autour. Ayla se demanda où se trouvait leur ruche car le miel de gratiole était particulièrement savoureux.

Elle cueillit plusieurs tiges dans l’intention de faire avec les fleurs une tisane non seulement délicieuse mais excellente contre la toux, les enrouements et les maux de poitrine. Les feuilles écrasées soulageaient aussi les brûlures, les blessures et les contusions. Boire une infusion de ces feuilles ou y tremper les membres était un bon traitement des rhumatismes. Cela lui rappela soudain Creb et ce souvenir amena sur ses lèvres un sourire teinté de tristesse. L’une des autres guérisseuses lui avait expliqué à un Rassemblement du Clan qu’elle utilisait aussi la gratiole pour les jambes gonflées par un excès de liquide. Levant la tête, Ayla vérifia que Loup était toujours couché près du bébé endormi puis tourna et s’enfonça dans le bois.

Sur un talus à l’ombre près d’un bosquet d’épinettes, elle avisa des aspérules, petites plantes de dix pouces de haut aux feuilles poussant en cercles, comme les gratterons mais avec une tige plus mince. Elle s’agenouilla pour en cueillir une délicatement avec ses feuilles et ses petites fleurs blanches à quatre pétales. L’aspérule avait une odeur agréable – plus forte une fois séchée, Ayla le savait – et faisait de bonnes infusions. On pouvait appliquer ses feuilles sur les plaies et, une fois bouillies, elles guérissaient les maux d’estomac et autres douleurs internes. On pouvait l’utiliser pour masquer l’odeur parfois désagréable d’autres remèdes, mais Ayla aimait aussi en répandre dans son foyer et en bourrer des coussins à cause de son parfum naturel.

Un peu plus loin, elle vit une autre plante qui aimait les coins ombreux, celle-là haute de deux pieds : la benoîte. Les feuilles dentelées, ressemblant à de larges plumes et couvertes de petits poils, s’espaçaient le long de tiges souples. La forme et la taille de ces feuilles dépendaient de leur position : sur les branches basses, elles poussaient sur de longues tiges et leurs folioles étaient séparées par des espaces irréguliers, le dernier plus grand et plus rond. Les paires intermédiaires, plus petites, différaient aussi en forme et en taille. Les feuilles du haut étaient trilobées et étroites, celles du bas plus rondes. Les fleurs, qui ressemblaient assez à des boutons-d’or, possédaient cinq pétales jaune vif séparés par des sépales verts et paraissaient trop petites pour une plante aussi grande. Les fruits, qui apparaissaient en même temps que les fleurs, étaient plus visibles et mûrissaient dans les têtes épineuses de capsules rouge sombre.

C’est le rhizome de la plante qu’Ayla déterra. Elle voulait les petites radicelles qui avaient l’odeur et le goût du clou de girofle. Elles soignaient les maux de ventre, notamment les diarrhées, les inflammations de la gorge, la fièvre, les rhumes et même la mauvaise haleine, mais Ayla aimait s’en servir comme d’une épice légère pour assaisonner la nourriture.

À une certaine distance, elle vit ce qu’elle prit d’abord pour des violettes et qui, de plus près, se révéla être du lierre rampant. Les fleurs avaient des formes différentes et poussaient de la base de feuilles qui s’enroulaient en spires de trois ou quatre autour de la tige. Les feuilles réniformes aux dents arrondies, parcourues d’un réseau de veinules, étaient disposées de part et d’autre de longues tiges et restaient vertes toute l’année, mais leur couleur variait du vif au foncé. Ayla savait que le lierre avait un arôme puissant et elle le renifla pour avoir confirmation que c’en était bien. Au Clan, elle en avait préparé une infusion épaisse avec de la racine de réglisse pour calmer la toux et Iza l’avait aussi utilisée pour les yeux irrités. Au Rassemblement d’Été des Mamutoï, un Mamut avait recommandé le lierre rampant pour les plaies et les bourdonnements d’oreille.

Au sol humide succédèrent une zone marécageuse et une petite rivière bordée de jonchères. Les joncs, parfois hauts de plus de six pieds, figuraient parmi les plus utiles des plantes. Au printemps, on pouvait détacher du rhizome les nouvelles racines pour mettre à nu un jeune cœur tendre qu’on mangeait cru ou légèrement cuit. L’été était la saison des tiges vertes des fleurs, qui poussaient en haut des joncs. Bouillies et grignotées autour de la tige, elles étaient succulentes. Plus tard dans la saison, elles se transformaient en joncs bruns dont le long épi mûrissait, fournissant un pollen jaune riche en protéines. Puis le jonc éclatait en touffes de duvet blanc qu’on pouvait utiliser pour rembourrer les coussins ou comme de l’amadou pour allumer un feu. En été, on pouvait aussi cueillir les jeunes pousses s’élevant de l’épais rhizome souterrain car il y en avait une telle profusion que cela ne nuisait pas à la cueillette de l’année suivante.

Le rhizome fibreux était disponible toute l’année, même en hiver si le sol n’était pas gelé ou recouvert de neige. On en extrayait une farine blanche en l’écrasant dans un récipient en écorce, large et peu profond, la fécule plus lourde tombant au fond tandis que les fibres flottaient à la surface. On pouvait aussi laisser sécher le rhizome et l’écraser ensuite pour ôter les fibres et ne garder que la farine sèche. On tressait également les longues feuilles étroites pour en faire des nattes sur lesquelles s’asseoir ou des sacs en forme d’enveloppe, des cloisons étanches servant à fabriquer un abri temporaire, des paniers et des sacs qu’on remplissait de racines, de feuilles ou de fruits, qu’on mettait à cuire dans l’eau bouillante et qu’on récupérait facilement. La tige séchée provenant de la cueillette de l’année précédente servait à allumer un feu quand on la faisait rouler entre ses paumes, l’extrémité tournant sur une surface adéquate.

Ayla posa son panier de cueillette sur le sol sec, tira de sa ceinture son bâton à fouir taillé dans un bois de cerf et s’engagea dans le marais. Avec ses mains et son bâton, elle creusa la boue sur une dizaine de centimètres et déterra les longs rhizomes de plusieurs joncs. Le reste de la plante vint avec, y compris les pousses attachées à la racine et les épis verts épais d’un pouce et longs de six ; elle avait l’intention de préparer les uns et les autres pour le repas du soir. Elle entoura le tout d’un morceau de corde afin de pouvoir le porter plus aisément et retourna vers l’étendue d’herbe.

En passant près d’un frêne, elle se rappela qu’on en trouvait beaucoup dans le pays des Sharamudoï mais aussi dans la Vallée des Bois. Elle songea à faire cuire des samares à la façon des Sharamudoï, mais ce fruit à ailette devait être cueilli quand il était jeune et craquant, pas filandreux, et ceux qu’elle voyait étaient déjà trop avancés. L’arbre avait cependant de nombreuses qualités médicinales.

Parvenue au pré, elle s’alarma aussitôt. Debout près du bébé, Loup fixait un point dans l’herbe haute avec un grondement menaçant.

Le Pays Des Grottes Sacrées
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